Une nouvelle nostalgie
texte consacré à l’essai de Pacôme Thiellement, La Victoire des Sans-Roi
à frère Pacôme
Je crois qu’il y a toujours une distension, distorsion ou… tension entre l’appel du néant et l’appel de l’existence. L’appel du néant, qui sourd constamment, peut prendre des formes diverses. Et peut-être que l’une de ses formes les plus épurées est la nostalgie.
Pacôme Thiellement m’a fait connaître, dans La Victoire des Sans Roi, un versant passionnant de la nostalgie, par les écrits gnostiques (ceux qu’il commente et aussi les siens) : la chute dans la matière. Cette chute que je voyais, avant de l’avoir lu et comme je la vois toujours, comme le vide essentiel.
Je crois que c’est d’aller comme ça au fond des choses, tomber en quelque sorte au fond du puits, c’est-à-dire ne plus se bercer de faux-semblants, de prétextes, de fausses raisons du vide essentiel, que peut se réaliser le retournement salvateur. Le vrai diagnostic étant posé, le remède suit naturellement. Il ne s’agit plus de geindre, se plaindre, ruminer mais… de se créer. Puisque nous sommes tombés dans la matière, nous sommes responsables de créer notre vie. Et ainsi, remontant le courant dévoilé de la souffrance, le lieu de la joie pure s’atteint.
Pacôme, pense-t-il que Friedrich Nietzsche, à sa manière, est un gnostique ? Le minuit du nihilisme se retournant en Grand Midi, le fameux Oui…<
Ce qu’il y a d’extrêmement salvateur dans l’écriture de Pacôme, par exemple pour les écrivains, les artistes, c’est qu’il donne la raison de ne pas se sentir maudits… Ce n’est pas parce que je ne fais pas partie du sérail (ce qui équivaudrait à être, dans d’autres temps, du côté du Diable et non de celui de Dieu), que je suis maudite. Je ne sais pas si Pacôme mesure à quel point sa parole sur ce point compte vraiment beaucoup. Et ses démonstrations sont très claires. Il sait écrire…
Avec ce Dieu intime gnostique de la puissance, et non plus le Dieu démiurge du pouvoir, il y a une acceptation de la solitude. Je crois beaucoup dans la vertu de l’acceptation de la solitude. Car une vraie communication, un vrai rassemblement ne peuvent avoir lieu qu’entre des personnes singulières, donc seules. Sinon, ce n’est qu’une juxtaposition de clones…
Au malheur d’être né, d’être né séparé, il n’y a que la création comme remède. C’est là que la nostalgie, le vide essentiel cessent d’être des pôles négatifs pour devenir de fabuleux (même si parfois douloureux) aiguillons.
Plus personne ou presque ne veut souffrir pour se créer, inventer sa vie. On préfère la mélancolie, le renoncement, la dépression, c’est-à-dire une mort sournoise, lente…
C’est beau cette notion de ressusciter dans la vie, comme l’a écrit Philippe dans son Évangile et comme Pacôme me l’a appris. Pour cela, il ne faut pas éviter la souffrance, se la masquer mais passer d’abord par l’acceptation de n’être rien, d’être déchu… Accepter le néant en soi, il faut bien d’abord en passer par là pour renaître. « Meurs et deviens »… À chaque fois…
L’écrit contemporain et gnostique de Pacôme résonne beaucoup en moi. Et cela m’a rappelé ce texte que j’ai écrit l’an passé :
Vampire… J’ai compris que l’un de mes pires ennemis est la nostalgie. Elle qui monte de toutes pièces un chromo, le faux souvenir beau à vomir alors que j’ai mal à la mère au fond de moi. Mais ce mal en vérité cache le vide essentiel. J’aimerais remonter le courant de ma souffrance : le lieu secret de la joie pure. Celle qui mord, griffe, entaille… J’aimerais devenir rien que son lit, à la joie pure. Elle et elle seule peuple le monde en éructant ses cris, ses entailles, ses morsures et mon sang.-
J’adore faire couler l’eau sur moi. Je garde les yeux fermés. De l’eau très chaude, la peau pique. La chaleur de la peau ressemble à la chaleur du dedans. Je suis petite, vierge. Mon vagin me brûle. Il me semble vivant par lui-même. Il veut mener sa vie propre… L’adolescence, se laisser ballotter par un désir qu’on ne sait pas lire et qui en devient tourment… Mon corps, comme de l’eau, semble pleurer tant il s’écoule en désirs. Il fait chaud. Il faut que le dehors ingurgité soit le même que mon dedans. Du sang, il me faut du sang.