Couverture de Nicolas Le Bault

La Fille Sauvage

Après un accident, une jeune fille s’enfonce dans une forêt aux confins de l’Europe et retourne à l’état sauvage… Dans un Paris secoué par des meurtres en série, une jeune actrice subit une éducation sentimentale et érotique des plus inattendues…Tandis qu’une secte prônant la pureté recherche de nouvelles victimes, un groupe de mutants prépare l’apocalypse… Tous ces destins convergeront jusqu’à l’implosion finale. Une fresque baroque et érotique sur l’amour et la fin des temps.

La Fille Sauvage, roman, La Reine Rouge, octobre 2022.

Extrait #1
Extrait #2

Extrait #1 – Premières pages

Mitsu était en Biélorussie en voiture avec ses parents. Ils longeaient la plus ancienne forêt d’Europe, Belovejskaïa Pouchtcha, la forêt primaire inchangée depuis des siècles. Sa mère, au volant, discutait avec son père assis à l’avant à côté d’elle. Mitsu s’était placée au milieu de la banquette arrière, ses écouteurs aux oreilles. C’était le crépuscule et elle regardait avec plaisir la route défiler. Les hauts arbres multiséculaires formaient autour d’elle comme un berceau. Elle écoutait Macintosh Plus, l’une des musiciennes les plus inventives d’un genre musical qu’elle venait de découvrir, la Vaporwave. Elle en raffolait. Le coup de foudre fut immédiat, comme tout vrai coup de foudre qui se respecte.

Fille unique de Kenji et Yoko Yamata, elle leur était reconnaissante de l’avoir prénommée Mitsu  ; car elle aimait bien son prénom, et elle aimait bien ses parents aussi. Son père, architecte et sa mère, sociologue, étaient passionnés par leur métier. Ils lui prodiguaient une paix royale. Elle venait d’avoir seize ans.

Installée avec eux à Paris depuis dix mois, Mitsu s’y habituait tant bien que mal. Ses amis lui manquaient, Reiko, Hasumi, Yüana et Masao, seul garçon de la bande. Comme lui manquait aussi la nature du Japon. C’était cela surtout qu’elle trouvait irremplaçable ; pouvant toujours être nourrie par l’amitié de ses amis avec lesquels elle correspondait assidûment. Quand ses parents avaient décidé de partir à l’aventure, de visiter la Biélorussie avec sa forêt primitive, elle s’en était d’abord fort réjouie. Cependant, quelques jours après cette annonce, quelque chose de génial survint dans sa vie. Elle eut dès lors beaucoup moins envie de partir. Mais elle s’en consolait en se disant que le retour n’en serait que meilleur.

Elle voulait devenir geisha. Depuis qu’elle l’avait avoué à Reiko, Hasumi, Yüana et Masao, ils se moquaient d’elle. « Tu mèneras une vie de dingue. Geisha  ! Mais tu n’y penses pas  ! C’est un sacerdoce, la chasteté en moins. Tu ne pourras pas avoir une vie normale. » Qu’entendaient-ils par unevie normale? Une vie conventionnelle, mais justement, c’était ce dont elle ne voulait pas. Elle aspirait à une vie authentique, qui lui corresponde entièrement. Et pour cela, il ne fallait pas entrer dans la norme. « Crois-tu que tu pourras te marier  ? Et ta vie sentimentale, tu y as pensé ? Cela ne te posera pas un problème ? »Ah  oui ! Ici en effet, pouvait se poser un problème. Problème ayant des yeux bruns pénétrants et qui s’appelait Donovan. «  Mon prénom vient du celte qui veut dire brun, lui avait-il annoncé la première fois où ils s’étaient parlé. Mais comme tu peux le voir, je suis blond. Mes parents en choisissant mon prénom se sont un peu trompés.  » Il avait accompagné cette déclaration d’un regard d’une séduction assassine.

Pratiquement toutes les filles du lycée et quelques garçons rêvaient de Donovan. Alors que lui, il leur restait lointain et indifférent. Mais voilà qu’il venait de jeter son dévolu sur une lycéenne, une seule, et c’était Mitsu  ! La première fois qu’elle le vit de près, elle se dit que sa beauté n’était pas aussi grande que sa réputation pouvait le laisser croire, avec ses joues si pâles et un peu trop creuses, sa bouche étroite. Mais comme ses lèvres s’avançaient délicieusement vers elle quand il parlait ! Au fil de leur premier échange, tout en trouvant sa beauté surévaluée, elle s’apercevait avec surprise que pendant ce temps elle succombait à son charme. Je suis comme un petit poisson capturé dans ses filets, pensait-elle. Et voyant qu’il serait inutile de se débattre, elle avait un peu de mal à lui lancer des réparties, prise dans l’admiration  : tout, dans le physique de ce garçon, était parfait. Jusqu’à sa maigreur, ses muscles frêles, son air dégingandé. Et puis, il fallait bien l’admettre, elle était captivée par son intelligence. Après tout, était-ce vraiment la peine de se faire du souci quant à son projet de devenir geisha ? Sa relation avec Donovan ne pourrait pas l’entraver. Il comprendrait certainement.

Mais à chaque fois que ce sujet revenait sur le tapis avec ses amis japonais, Hasumi, Masao, Reiko et jusqu’à son amie intime, sa sœur de cœur Yüana, ils s’en faisaient des gorges chaudes. Leur sentence, comme la foudre,  s’abattait sur elle : qu’est-ce qu’une jeune fille moderne, qui avait de bonnes notes à l’école, avait à faire avec ces vieilles coutumes, ces mœurs révolues, dégradantes pour la femme ? Mitsu n’avait rien à leur répondre. Elle-même n’en savait rien. De toutes façons, elle n’ambitionnait pas de devenir une geisha traditionnelle. Une geisha ne se contente pas de sourire bêtement et d’écarter les jambes. Même si dans l’ancien temps sa virginité se payait à prix d’or. Une geisha doit savoir chanter, danser, faire la conversation, donc être un tant soit peu instruite, avoir de l’humour, mettre ses clients en confiance et en valeur, s’exprimer de manière élégante, savoir bien s’apprêter, parler plusieurs langues, jouer d’un instrument. Mitsu brillerait dans sa maison de geisha par la musique et le chant. Car Mitsu était musicienne dans l’âme. Depuis sa prime enfance, elle prenait des cours de composition et de chant. Elle jouait aussi de la flûte traversière. Elle adorait jouer et chanter de petites ballades qu’elle inventait. Pour elle, baigner dans sa musique était aussi indispensable et naturel que la respiration.

Elle rêvait d’ouvrir une maison de geishas pour des clients des deux sexes. Il y aurait des geishas hommes aussi, également pour des clients des deux sexes. Cela serait merveilleux… Elle la voyait comme un endroit pour se ressourcer, un havre de paix, de culture. Peut-être faudrait-il trouver un autre nom que geisha ? Mais celui-ci lui plaisait bien car il lui rappelait le monde d’avant et la faisait rêver.

La route entre les arbres était si étroite qu’on avait l’impression de se trouver en pleine forêt. Mitsu goûtait ses retrouvailles avec la nature. Dire qu’il avait fallu venir en Biélorussie pour pouvoir la retrouver. À Paris, elle était en manque de verdure. Et même si ces paysages ne ressemblaient pas à ceux de son Japon natal, c’était un milieu vierge, pratiquement à cent pour cent naturel. Des arbres, des rivières, du ciel. Cela lui faisait penser à Nikkô où vivaient ses grands-parents et où elle allait avec tant de plaisir. Elle ne se lassait pas d’écouter sa grand-mère. O bachān Fumiko lui transmettait son savoir sur les animaux, les végétaux. Sur les kamis, les divinités tutélaires. Et lui racontait d’anciennes légendes. Elle rêvait pendant que ses parents discutaient avec animation. Elle avait l’habitude de leurs conversations toujours très vives. Ils ne pouvaient pas s’empêcher de s’enflammer, se contredire, se couper la parole. Elle savait que c’était leur manière de se dire qu’ils s’aimaient. Ses parents s’adoraient et elle, Mitsu, elle était l’enfant de l’amour. Kenji riait souvent pendant qu’il parlait avec Yoko. Cela arrivait quand il était énervé, quand Maman, Yoko, avait fait mouche dans le débat et que pendant quelques secondes, il était à court d’arguments. Les lèvres de son père se retroussaient alors un peu comme un cheval hennissant et un bout de ses gencives apparaissait.

Mais là, en Biélorussie, sur cette petite route au travers de la forêt ancestrale, la conversation de ses parents lui parut tout à coup anormalement animée. Le rire de son père, Kenji, s’était fait grinçant. Et Yoko, sa mère, tournait souvent la tête vers lui. Ses mains lâchaient le volant. Ses yeux quittaient la route. Et, de plus, elle roulait à fond de train. Finalement, il y avait quelque chose d’inhabituel. De quoi pouvaient-ils parler pour s’agiter autant ? Curieuse, Mitsu décida d’interrompre la musique. Ce fut alors qu’elle vit une biche au loin, devant eux, qui traversait la route. Elle s’absorba dans cette vision quelques secondes, oubliant ce qu’elle s’apprêtait à faire. Sa mère avait encore accéléré. La biche avait traversé la route et se trouvait de l’autre côté. Mais cette biche n’était pas toute seule. Son petit la talonnait. Surgissant peu après elle, le faon s’engagea à son tour sur la route pour suivre sa mère. La mère de Mitsu, en train de vitupérer contre son père, n’avait rien vu. La voiture percuta le faon de plein fouet. La voiture, qui n’était plus qu’un frêle esquif, fut emporté comme dans un tsunami.

Après plusieurs tonneaux, elle s’arrêta enfin sur ses quatre roues. Kenji et Yoko ne parlaient plus, ne bougeaient plus, ne respiraient plus. Mitsu se sentait prise dans un gigantesque étourdissement. Mais elle n’eut besoin de rien pour se rendre compte, du fond de son être, que ses parents étaient morts.

Outre sa bouche en feu, elle avait très mal à la jambe droite, des doigts de la main gauche écrasés et cet étourdissement phénoménal. La route était déserte. Elle se sentait comme brisée en mille morceaux ; mais elle était restée vivante. Elle n’en revenait pas, n’osant se demander dans quel état elle se trouvait en vérité. Interrompue par la vision féérique de la biche et de son enfant le petit faon, elle n’avait pas appuyé sur la touche pour interrompre la musique. Maintenant c’était trop tard. Plus un seul de ses muscles ne répondait à sa volonté. Saint Pepsi passait maintenant dans ses oreilles, l’album Hit Vibes. La beauté de cette musique entraînante adjointe à la catastrophe qui lui était tombée dessus était insupportable. Le ciel s’obscurcissait. La nuit tombant sur la forêt dessinait un décor de rêve. Mais qui, pour elle, s’était fait cauchemar.
Elle se demandait avec angoisse si quelqu’un passerait et viendrait la secourir. Elle savait que les chances étaient minimes. À cette heure-ci, que viendraient faire des gens sur une petite route à l’orée de la forêt  ? Quel drame  ! Orpheline et peut-être dans un état grave et en danger de mort, elle n’était plus que désespoir… Le froid arrivait en même temps que la nuit. Elle grelottait.

Quand elle vit des phares au loin, son cœur se mit à bondir de joie. Une voiture arrivait, elle était sauvée ! Mais encore fallait-il qu’elle s’arrête ! L’automobiliste comprendrait-il que l’accident venait de se produire ? S’il prenait la peine de ralentir, il verrait bien qu’il y avait des passagers à l’intérieur. Un petit soupir de soulagement s’échappa de ses lèvres. La voiture s’était arrêtée. Elle remercia intérieurement les kamis, les esprits tutélaires qui veillaient sur elle. Submergée d’émotions, elle perdit connaissance…
Une lumière brûla ses paupières. Elle ouvrit les yeux, poussa un faible gémissement. Mais d’où venait cet infernal soleil ? Et soudain elle comprit. La voiture qui s’était arrêtée braquaient sur elle ses pleins phares, étalant sous ses yeux comme en plein jour une vision proprement d’horreur. Sa mère, morte et nue, était allongée sur le capot, sa tête tournée vers Mitsu. Les yeux grands yeux ouverts, elle semblait regarder sa fille. Son père n’était plus dans la voiture.

Un homme passa sa figure devant le pare-brise. Il était gras, ruisselant de sueur. Il lança à Mitsu un clin d’œil lubrique. Il baissa son pantalon et pénétra Yoko, sa mère. La tête de Yoko tressautait sous les coups de rein du nécrophile. Elle se cognait contre le capot à intervalles irréguliers. C’était horrible, ses yeux restaient ouverts. Mitsu avait envie de vomir. Ses jambes refusaient de bouger. Sa douleur à la cuisse avait empiré. Elle était devenue presque intolérable. Le nécrophile jouit en levant les bras au ciel en signe de victoire. Mitsu vit le corps de sa mère glisser de la voiture et tomber sur la route. Elle disparut de sa vue. Mitsu se mit à pleurer. En même temps, elle vomissait. À ce moment, elle aurait voulu être morte.

Elle respira fort, ferma les yeux. La voiture se mit à trembler et faisait bouger sa jambe blessée. Elle rouvrit les yeux. Son père avait été jeté sur le capot, à la place de Yoko. Il était nu, un œil fermé avec du sang coagulé autour. Quatre individus gesticulaient en riant, deux femmes et deux hommes, dont celui qui venait de profaner le cadavre de sa mère. L’autre homme, tout maigre, s’allongea sur son père Kenji. Il baissa son pantalon, se coucha sur Kenji et le viola. Mitsu vomit encore. Tétanisée, folle de douleur physique et de chagrin, elle ne pouvait pas crier. Mais elle pleurait tant qu’elle avait la vue brouillée de larmes.

Ensuite, déchaînés, ils se déshabillèrent et se mirent à chanter et danser. Soudain une des deux femmes, la plus âgée, très grande, s’arrêta de danser et de chanter. Elle s’approcha de la voiture en lançant à Mitsu de méchants regards. Mitsu était atterrée. Il fallait qu’elle s’enfuie. Elle ne voulait pas se faire violer. Hors de question que ces individus infâmes la touchent. Plutôt mourir, disparaître de la surface de la terre. Mais l’idée qu’ils violeraient son cadavre lui était intolérable. Elle ne voulait surtout pas servir à leur plaisir. Elle essaya de bouger. Elle ne pouvait pas. Elle n’avait plus de souffle, elle ne respirait plus qu’à grand peine… Ils s’arrêtèrent de danser. Ils encerclèrent la voiture. Mais pourquoi son corps ne lui obéissait-il pas ? Était-elle en train de mourir ? Elle ne voulait pas finir estropiée, aphasique, mutilée, violée. Plutôt mourir. Et ce désespoir lui donna d’ultimes forces. Elle se mit à hurler  :
— Je veux vivre, vivre, vivre ! Je dois ouvrir ma maison de geishas ! Je veux chanter  !

À ce moment se leva un vent d’une violence inouïe. Des trombes d’eau se mirent à tomber. S’était déchainée, sur la forêt de Belovejskaïa Pouchtcha, une tempête effroyable. Les chênes multiséculaires agitaient leurs centaines de bras. On aurait dit des géants devenus fous. Une lutte impitoyable s’était engagée entre le vent et les arbres. La tempête fit fuir les violeurs nécrophiles.

La musique se poursuivait dans les écouteurs de Mitsu. Pas moyen d’appuyer sur la touche ou de retirer les écouteurs pour ne plus l’entendre ; c’en était désespérant. Passait la chanson Fiona Coyne, de Saint Pepsi I can’t believe how happy I am / I think I was embarrassing with them wasn’t… L’air et les mots s’incrustaient en elle. Et leur allégresse, en déréalisant la situation dramatique dans laquelle elle avait sombré, la lui rendait plus cruelle…

La tempête secouait follement les arbres de la forêt. Les branches des chênes se penchaient et se cognaient contre la voiture. Par-delà la voix du chanteur, Ryan DeRoberti, elle entendait les coups des branchages contre la tôle. La voiture dansait sous la brutalité du vent… Un animal sauvage pouvait venir l’attaquer, un sanglier, un bison…

Le typhon faisait rage, secouait la voiture telle un fétu de paille sous la pluie et le vent. Mitsu se sentait enclose dans une matrice flottante, sur les éléments déchaînés. La portière s’ouvrit dans un grand fracas. En d’énormes brassées, le vent emporta au loin son téléphone, ses écouteurs, déchira et arracha ses vêtements. Le vent l’enveloppait entièrement, emplissant son corps nu de toutes parts.

Dans les sons de la bourrasque en fureur, un mot se mêlait maintenant,Mitsu. Mitsu… On l’appelait.Mais qui donc ? Était-ce possible  ? Elle tendit l’oreille de toutes les forces qui lui restaient. Mitsu… C’était bien son prénom. Du ventre de la forêt, quelque chose l’appelait, une voix charnue, profonde, végétale. Mitsu…Mitsu…Son corps lui parut tout à coup très bizarre, comme s’il avait été délivré de la douleur par quelque chose d’inconnu. Le vent tourbillonnant emporta le corps de Mitsu.

*

Extrait #2

La forêt l’avait comme envoûtée. Mitsu n’avait pas envie d’en partir. Elle attrapait des grenouilles qu’elle aimait manger crues. Elle grimpait aux arbres pour faire le guet ou simplement pour jouir du paysage. Elle pêchait, attrapait du petit gibier à la sarbacane, qu’elle dévorait cru à belles dents. Elle avait volé un pot de la mixture médicinale que l’ermite lui avait appliquée au début pour la soigner. Elle faisait des expérimentations en la mélangeant à des herbes qu’elle cueillait. Elle apprit ainsi à se soigner toute seule, quand elle avait mal au ventre, mal à la tête, quand elle se sentait triste ou n’arrivait pas à dormir… Elle apprit aussi quelque chose de très important, le silence. Sans mot dire, elle parlait à la biche que parfois elle rencontrait, quand la biche le voulait bien. Tout cela, c’était la forêt qui le lui apprenait.

Chaque fois qu’elle sortait de la cabane pour aller marcher dans la forêt, elle se sentait observée par l’animal. Et la biche ne se montrait que lorsqu’elle l’avait décidé. Par la biche, il semblait à Mitsu qu’elle retrouvait, mais d’une autre manière, l’affection de ses parents et, encore dans un autre registre, celle de ses amis au Japon et sa relation amoureuse avec Donovan.

Même quand l’automne vint, Mitsu continua à se mettre nue quand la biche lui apparaissait. Elle s’allongeait sur le tapis d’herbes, de ronces et de mousses. Elle lui parlait silencieusement. Elle lui racontait comment serait sa maison de geishas, la musique qu’elle composerait et chanterait. Car Mitsu avait décidé qu’elle deviendrait compositrice et chanteuse. Depuis quelque temps, elle composait dans sa tête de la musique, en s’inspirant des sons et des symphonies de la forêt. Et elle se plaisait à chanter toute seule.

Elle habituellement frileuse, s’étonna de ne pas ressentir le froid, se demandant comment elle ferait pour dialoguer avec la biche quand viendrait l’hiver. Car elle s’était rendu compte que ses entretiens avec la biche ne pouvaient se produire que lorsqu’elle avait retiré ses vêtements.

L’hiver arriva… Tombèrent les premières neiges. Elle enleva ses vêtements, craintive. Je n’ai pas encore froid, constata Mitsu, c’est normal. Je viens de courir mais quand je vais m’allonger sur la neige, je vais avoir très froid. Tout en se disant cela, elle s’allongea à même la neige. Elle ressentit quelques petits picotements au début. Et puis, plus rien. La biche se mit à faire des cercles autour d’elle, lui envoyant de la neige sur le corps. Elle n’avait toujours pas froid. Ce n’était pas le froid qu’elle ressentait mais une envie folle de faire l’amour. Donovan, pourquoi je ne suis pas restée avec toi  ? Comme tu me manques. Comme j’ai envie de voir ton visage. Rien que par tes caresses, tu saurais me consoler de la mort de mes parents, mes pauvres parents dont les cadavres ont été profanés… Ils doivent être fous de douleur et de rage. Comment pourrais-je apaiser leur âme-esprit maintenant ? Mitsu n’en pouvait plus. Alors, elle se mit nue malgré la neige. La biche se mit à tourner lentement autour d’elle. Sans que Mitsu s’en rende vraiment compte, ses jambes s’écartèrent. Comme c’était bon d’être nue au-dehors, offerte à la pleine nature, sans personne pour l’embêter. Sous son dos, la neige immaculée formait une couche chaude. C’était étonnant. Mitsu mit ses mains sur ses reins et releva le bassin. Son pubis de jeune fille pointa vers le ciel. La biche arrêta de faire des cercles autour d’elle. Elle posa sa tête sur le pubis de Mitsu qui sentit comme une grande détente se diffuser dans son vagin. Ses lèvres intimes semblèrent d’elles-mêmes s’approcher de l’animal. La biche enfonça un peu sa tête dans sa vulve et se mit à la mordiller.

J’aurais dû crier, ou mieux me relever, m’en aller… Mais je n’ai rien fait de tout ça. C’était un jeu charmant. Pourquoi ne pas jouer ? Elle me mordillait avec tant de délicatesse, c’était tellement bon… Des parties de mon corps, des zones de ma chair jusque-là inexplorées et comme inexistantes, se réveillaient soudain. Ce n’était pas le moment d’abandonner l’opportunité de l’instant. J’ai écarté davantage les cuisses. J’ai poussé un petit soupir. J’ai posé mes mains sur mes seins pour les caresser. La biche s’est mise à me lécher. Sa langue tournait encore et encore sur mon bouton de plaisir. J’imaginais que le jus qui s’écoulait de mon sexe, c’était du lait que la biche aimait boire. Prise dans les bras de la nature, je regardais le ciel tout blanc. Les flocons de neige tombaient sur moi. C’était doux, enveloppant, ça me caressait. Mon corps était en feu. La chaleur de la biche me réchauffait de l’intérieur.

Pendant que la biche me léchait, la neige me couvrait d’un manteau blanc. Et ces flocons étaient de douces caresses, comme faites par les doigts de Donovan. Bientôt, je ne sus plus qui me faisait l’amour. La biche avec sa langue magique ? Ou Donovan, mon amoureux fantasmé ? En tout cas, c’était sublime, merveilleux. Dans le silence de la neige qui purifiait le paysage, montaient les petits gémissements qui s’échappaient de mes lèvres. Bientôt, je fus incapable de me contenir. Je m’arc-boutais en poussant un hurlement. Je me mélangeais aux arbres, aux oiseaux, aux brins d’herbe, aux feuillages, à l’eau…

Je m’assis et vis que la biche déjà au loin s’enfuyait… Je compris que c’était elle, la biche, qui venait de me lécher… Ce n’était pas un fantasme ni un rêve avec Donovan. C’était la réalité. C’était elle…

Quand Mitsu fut de retour dans la cabane, l’ermite qui l’attendait sur le seuil, lui parut anxieux. Elle n’avait pas eu froid tout à l’heure sous la neige avec la biche. Mais elle grelottait maintenant. Il avait fabriqué une sorte de braséro qui dispensait une bonne chaleur. Et Mitsu observa comment il s’y prit pour faire du feu. Il la frictionna avec des huiles dont il avait le secret et qui tout de suite la réchauffèrent. Il lui donna une pelisse qu’il avait confectionnée, improbable mais néanmoins efficace assemblage de peaux de diverses bêtes.