Février 2019

Gloria Hasch fabrique des poupées de collection, destinées à des adultes. À l’occasion d’une rencontre avec un mystérieux collectionneur se tisse une relation amoureuse inédite. En particulier, la vision d’une œuvre de l’artiste Pierre Molinier chez le collectionneur ouvre le cœur de Gloria à un champ de pulsions érotiques insoupçonnées. Auparavant accablée de pulsions morbides, elle est traversée par des forces nouvelles auxquelles elle laisse libre cours. Se construit peu à peu une image de son désir, élaborée à partir de cette rencontre avec celui qui sera nommé plus tard “Lord”. On peut dire qu’il y a chez Gloria un , c’est le processus par lequel elle décide de devenir le jouet de son amant. Il y a également chez les deux amants la volonté de n’être « personne ». Être personne, c’est se livrer entièrement à la relation sans se préoccuper des conventions, s’affranchir de toute étiquette sociale, finalement rendre au sujet sa complétude.
La rencontre est inaugurale autant que définitive, elle explore les limites d’un rapport fait de domination et de complicité où la puissance du féminin s’offre de façon apparemment paradoxale. Que de la soumission à un « lord », un seigneur, puisse naître une liberté, est en effet pour le moins inattendu… C’est une véritable conversion, en somme ! Un autre élément paradoxal du roman est semble-t-il, comment si peu d’éléments personnels peuvent occasionner une relation si forte entre les deux protagonistes. Cela va jusqu’à la chambre d’hôtel qui renforce ce côté anonyme en même temps qu’il recadre la relation dans un espace peut-être plus connoté, du type relation extra-conjugale. Peut-être est-ce parce que dans la vie du personnage de Gloria cette relation de “pur sexe”, détaché des organes, prend une dimension quasiment métaphysique. L’écriture de Frederika Abbate semble d’ailleurs se conformer à l’expérience de Gloria, on part de détails et de descriptions sans équivoque pour aller vers une forme d’abstraction, une expérience partagée sans aucun épanchement sentimental. Les coordonnées spatio- temporelles du récit sont bien établies, pourtant elles semblent s’effacer devant l’intensité de la relation telle que vécue de l’intérieur et exprimée dans les pensées de Gloria.
Ce récit nous livre les clés d’un discours existentiel sur le désir dans ce qu’il a de subversif par rapport aux normes et aux codes sociaux. La poupée, cet artifice “ni vivant ni mort”, doublure toute roussellienne d’un être en devenir, mène finalement à une création de soi.

Stéphane Rengeval