Ronce Noire

texte présenté à l’exposition Ronce Noire première, Galerie Praz-Dellavalade, septembre 2002

RONCE NOIRE : Mon départ brutal a gravé sur ta poitrine le sentiment si terrible de la solitude et de l’abandon. Tu le crois irrémédiable en même temps qu’il pourvoit ton regard d’un voile de profondeur charmant. Ta soif de me retrouver te fait presque frémir de rage. Voilà, maintenant je peux te le confier sans crainte, prépare-toi à l’impossible…

Car tu vas me retrouver. Sur une planète délivrée des lois de la pesanteur et surtout de celles de la solidité, de la condensation, de toute mise en forme traditionnelle des corps. Approche-toi un peu, en moi tous les âges sont troubles. Et cette fluidification extrême te contamine à ton tour ; sur ton front d’adulte, de voyou innocent, endurci, se superpose déjà le visage d’un petit garçon, tout petit… Car je suis de cette planète où le temps du déroulement s’est aboli. Moi que tu as aimée avant même de connaître la véritable signification de ton nom et de ta douleur, moi qui ai été la promesse de toutes les guérisons et des bonheurs absolus, tu vas me retrouver, l’amour de l’amour, mais sous une forme discontinue, miroitante et perpétuellement changeante où vont se croiser tous les êtres qui aiment la nuit. D’un amour interdit. Et c’est avec eux tous que tu te mélangeras, pour mieux me retrouver… La nuit où se conjoignent, dans un faisceau qui te brûle le bas-ventre et le cœur, le plus infranchissable du ciel cosmique et la blessure ouverte de la vivante terre. Ne sois donc pas étonné, à cet instant où nos doigts se croisent, de rencontrer, à la place de la peau, un fluide un peu chaud qui ressemble à de la chair. La chair de l’érotisme est dans la tête et la tête circule dans les canaux nerveux faisant le tour des bureaux, des salons, des hall d’hôtel, des villes… Un jour je te dirai : Viens dans ce bois X où je serai toute à toi. Quand tu y seras, j’aurai pris une allure, une consistance, une voix et des couleurs que tu ne m’as jamais connues. Je suis l’eau, l’alcool des vignes, les minéraux, comme tout ce qui s’épanche et brûle, change constamment de visages et de corps. Aujourd’hui je suis femme, demain je serai homme, ou même plusieurs sexes. Et tu ne sauras plus, venant en moi dans ce ciel, l’alphabet trop idiot qu’on appelle le monde.