Belle âme

C’est gentil d’applaudir sur les balcons chaque soir à la même heure. Cela leur fait une belle jambe, à ceux qui sont applaudis. Je ne dis pas celles et ceux car c’est piètre comme expression. Expression répétée à l’envi parce que c’est gentil. C’est gentil d’être gentil. Cela fait paraître beau. Cela fait paraître aimable, dans le sens «  qui peut être aimé  ». Pendant ce temps, la réflexion est mise au placard. C’est le règne de la belle âme. Et chacun se l’achète à bon compte, car tout s’achète et tout se vend. Ceux qui l’oublient, oublient de penser.

Le déni de la réalité tue autant que le virus mortel. Les gentils s’abreuvent au déni de la réalité. Ils s’en enivrent, s’en repaissent, s’en regorgent. Et chacun y va de son trémolo. Et chacun se met du côté des gentils et rabrouent les méchants. Le déni de la réalité est pourtant là, clair. Le virus n’est pas arrivé en Europe par l’opération du saint-esprit. Il s’est propagé dans le monde en étant transporté par des personnes contaminées qui, non-intentionnellement, l’ont emporté dans leur corps et l’ont introduit en Europe. Parce qu’il ne fallait pas faire de contrôle dans les aéroports. Cela fait tâche. Cela fait négligé. Cela peut déranger ces messieurs-dames qui font des affaires et voyagent. Il ne faut pas fermer momentanément les frontières. Ah  ! non surtout pas  ! Cela, c’est un crime de lèse-majesté. On se croit en démocratie  ? C’est faux. On peut léser sa majesté. C’est donc un royaume. Le pire des royaumes. Il s’appelle «  belle âme  ». Son drapeau et son modus operandi c’est «  déni de la réalité  ».

Cela fait longtemps que les infirmiers, les infirmières, les médecins nous le disent. «  Si l’état continue de sabrer les budgets, s’il ne remet pas de l’argent dans la santé, il y aura des morts dans les hôpitaux de France  ». C’est arrivé. Les gentils le dénoncent, dans les journaux, dans les tribunes. Les belles âmes. Il faudrait qu’ils se demandent aussi, les gentils, pourquoi l’état ne met plus d’argent dans la santé. Pour la même raison que les états ont refusé de contrôler et de fermer momentanément les frontières, dès le départ, parce que ce n’est pas le saint-esprit qui a propagé le virus. Les belles âmes qui s’adonnent au déni de la réalité croient donc au saint-esprit et qu’on vit dans un royaume. Qu’elles continuent à applaudir. Les applaudissements c’est pour un spectacle, que je sache. Je ne  savais pas que les gens qui soignent se produisaient sur une scène. Ah  ! j’oubliais que tout est spectacle. Et qu’ils continuent donc à se donner en spectacle, sur leur balcon  ; car c’est eux-mêmes qu’ils applaudissent dans le fond. Voyez comme on est gentils. Encore faut-il avoir la chance d’avoir un balcon, un domicile, pour le faire. Encore faut-il avoir la chance de ne pas revenir de son travail de caissier et de caissière dans les supermarchés et les commerces de bouche. D’ailleurs, eux, on ne les applaudit pas.

Qu’ils continuent à être gentils, repus d’idéologie. Allant jusqu’à traiter les Portugais de gens dociles. Quelle prétention ces Français  ! Le Portugal s’en sort bien mieux parce qu’il n’a qu’une seule frontière. Il suffit de regarder une carte de géographie. Et il l’a fermée très tôt. Il a donné une carte de santé aussi aux migrants pour que tout le monde soit bien soigné et que le virus se propage le moins possible. Les gentils se vautrent dans le déni de la réalité. Les Portugais sont dociles, disent-ils. Et pourquoi pas cons, tant que vous y êtes  ? Ils ne sont pas dociles, les Portugais. Leur état a été réaliste, c’est tout. Tandis que les gentils obéissent à leurs états meurtriers parce que les gentils dénient la réalité. Il préfèrent dans le fond qu’il y ait des morts, beaucoup de morts, que les médecins et les infirmières, les infirmiers pleurent parce qu’ils doivent choisir qui va être sauvé et qui va mourir. Ils préfèrent cela, les gentils, parce que leur miroir leur renvoie une image de belle âme. Mais un jour, un jour viendra où ce miroir, tel le tableau de Dorian Gray, leur montrera leur vrai visage, et là ils pleureront sur leur face hideuse. Mais ce sera trop tard, car la fin du monde sera arrivée.

Paris, le 31 mars 2020, 15ème jour de «  confinement  » parce qu’on a dénié la réalité.

 

Printemps : Culte de la mort

Dire que c’est le printemps… Le temps du renouveau, de la reverdie et surtout du retour du soleil pour faire enfin de nouveau le stock de bien-être et de vitamines. Mais on ne peut pas prendre le soleil cette année, à moins d’habiter dans une maison avec jardin privatif ou d’avoir fui les métropoles, loin des gueux qui peuvent attraper la peste, dans sa résidence secondaire avec ou sans piscine mais du moins avec jardin. C’est tout de même idiot ces familles qui s’entassent dans des appartements minuscules, qui ne peuvent même pas sortir les enfants qui, en outre, traînent toute la journée à la maison puisque, figurez-vous, il n’y a pas école. Il faut occuper les enfants. Il faut travailler tout de même, par le si glorifié télétravail et dont il faudrait par ailleurs grandement se méfier, avec des enfants en bas âge qui réclament des jeux et des soins. Dire que c’est le printemps et qu’on ne peut pas en profiter. Dire que des gens ne le verront jamais plus, parce qu’ils sont morts prématurément, bêtement. La mort, c’est toujours bête. Cela fait mal de partir. Cela fait mal à ceux qui voient les gens aimés partir. Mais mourir faute de soins appropriés, faute de masques, faute de lits d’hôpital, faute de respirateurs, c’est comment  ? Je n’ai pas encore trouvé de mots pour le dire. En revanche, il y en a un qui me vient spontanément à la bouche quand je pense à ceux qui ont laissé faire cela. Criminel.

Cette année le printemps a pris une tournure autre. Ce n’est pas le soleil, ce ne sont pas les fleurs qui poussent, les robes fleuries qui nous attirent aux devantures des magasins, les rencontres à l’extérieur entre amis. Ce n’est pas la sensation si agréable de sentir l’air sur sa peau (même s’il est pollué à mort), ce n’est pas l’exposition tant attendue aux rayons solaires bénéfiques. Non, cette année, le printemps c’est  : Les gens qui se battent dans les supermarchés. Les petits mots à des homosexuels, à des infirmiers pour leur dire qu’ils doivent dégager. Les chiens passés à l’eau de Javel, comme si les animaux n’étaient pas des êtres vivants. Les femmes de ménage qui ne peuvent pas travailler et qui auront quoi? Les coursiers qui vont partout, exposés à la maladie, bien obligés de gagner leur croûte. Eux qui ont permis à celui qu’on appelle le président de faire baisser la courbe du chômage et de s’en vanter. Tant pis pour les coursiers s’ils n’ont aucun droit, tant pis pour eux s’ils sont les nouveaux esclaves qui vont livrer ces messieurs-dames. Et puis, n’est-ce pas, il faut bien se faire livrer puisqu’on n’a pas le droit de sortir.

Nous sommes tous en résidence surveillée. Je crois que c’est comme ça que ça s’appelle, quand on est coupables, quand on est persona non grata. On n’est pas mis en prison. Mais on ne sort pas de chez soi. Alors, je me demande. De quoi sommes-nous coupables pour être mis en résidence surveillée  ? Coupables d’être d’éventuels porteurs d’un virus (qui, soit dit entre parenthèses a été causé par la cupidité et la bêtise des humains). Coupables de ne pas avoir eu de masques pour s’en protéger. Coupables de ne pas avoir été avertis à temps (ce n’est qu’une petite grippe qu’on nous disait, pas de quoi en faire un plat). Coupables de ne pas se faire tester, grâce à quoi seules certaines personnes seraient prises en charge et écartées et pas des populations entières. Coupables d’être dans un pays qui n’a plus d’industries, qui est tributaire d’autres pays pour fabriquer des choses essentielles, coupables d’être dans un pays qui a recours à l’étranger pour 80 pour cent des substances de base pour fabriquer les médicaments. Cela fait froid dans le dos, cela. Dire qu’on pourrait nous faire crever en nous privant de ces substances de base. Les médicaments ne pourraient pas être fabriqués.

Il n’y a plus aucun respect pour la vie. Cette année, le printemps, ce n’est pas la reverdie. C’est le culte de la mort.

Ce qui me fait froid dans le dos aussi c’est le meurtre de la pensée. Imbus d’idéologie, tenant à paraître soi-disant larges d’esprit, mais ne faisant en vérité qu’obéir aux mots d’ordre lancés par le pouvoir qui, comme sur un coup de baguette magique, se transforment en belles idées que beaucoup de gens s’empressent de défendre, ces bien-pensants n’argumentent pas quand ils ne sont pas d’accord avec d’autres. Ils leur lancent des qualificatifs injurieux, des anathèmes préfabriqués. Je pourrais en donner la liste tant ce sont toujours les mêmes qui reviennent dans des ritournelles rancies qui, dans le fond,  ne veulent rien dire. Ou bien,  mieux encore, ils interdisent la parole à ceux qui ne pensent pas comme eux. C’est ignominieux. Au milieu de tout ça, heureusement il y a aussi des gens merveilleux, qui aident les autres, qui s’entraident.

Dire que quand on n’a pas de nouvelles de quelqu’un, on se demande s’il n’est pas mourant ou mort. Ceci est une transformation radicale dans tous nos rapports essentiels. Et je dédie ce texte à tous ceux qui ne reverront jamais le printemps.

2 avril 2020 -17ème jour de «confinement» à cause de la rapacité et de la bêtise des humains.

 

Pour un tribunal futur

Actuellement est en train de se faire la collecte des témoignages des malades guéris, des thérapeutes, de tout le personnel soignant pour laisser une trace de ce qui se passe dans les hôpitaux de France face au virus. Cela servira à plusieurs choses. L’une d’elles, et non des moindres, sera de fournir les témoignages devant le tribunal. Car les responsables seront jugés, n’est-ce pas  ? Ne m’enlevez pas cette idée de la tête s’il vous plaît. La rage m’aide à me prémunir et renforce certainement mes défenses immunitaires, du moins je veux bien le croire et c’est déjà suffisant. Cela servira aussi de matériel à ceux qui, d’une manière ou d’une autre, en feront la chronique de diverses façons, par l’histoire, la sociologie, la philosophie, les récits oraux faits de personne à personne, l’art, le poème, le roman…

Ainsi, j’ai pris dernièrement connaissance du témoignage d’une infirmière. Une chose qu’elle dit est particulièrement frappante. Une chose terrible, dans tout cet amoncellement d’horreurs, à laquelle j’avais déjà pensée et que j’avais vite écartée de mon esprit tant cela me faisait horreur. L’infirmière est en première ligne face à la mort, dit-elle, c’est son métier mais là elle témoigne de l’inédit si douloureux de cette situation. Mourir du virus n’est pas mourir de n’importe quelle autre manière. Bien sûr, chaque manière est singulière, et c’est très important. Mais là, s’y ajoute une dureté toute spéciale, la personne meurt seule. Dans la solitude extrême qui est en train de l’absorber dans le trou du néant où personne d’aimé ne pourra venir avec elle, s’ajoute l’impossibilité de l’adieu, l’impossibilité de dire la dernière parole d’amour et d’accompagnement. Du fait de la contagion. Rejetée de la société, mise au ban et d’ailleurs souvent c’est bien cela qui arrive puisque dans ce pays qu’on prenait pour un pays nullement sous-développé, les personnes meurent faute de soins appropriés, non par manquement du personnel, il est compétent et dévoué mais certes en sous-nombre, mais faute de matériel. Comment arriver à accepter cela  ? Elle les voit, impuissante, sombrer dans une solitude radicale. Et comment vont se faire les deuils de gens qu’on n’a pas pu assister au moment de la mort, parce qu’ils étaient contagieux  ?  Et qu’on ne dise plus «  infecté  », où sonne par trop le mot «  infect  ». Or, infects, ce ne sont pas les malades qui le sont mais ceux qui laissent faire cela. Contagieux est plus approprié. Pourquoi on évite «  contagieux  »  ? Sinon pour nous empêcher de penser qu’aurait pu s’éviter la prolifération de quelque chose qui ne demandait qu’à se propager et tuer. Sans intentionnalité. Il n’y est pour rien, le virus. Il n’a pas fait une déclaration de guerre. Normal, ce n’est pas d’une guerre qu’il s’agit. Ou alors, ce n’est pas le virus l’attaquant… Mais les gens, on les a laissé se côtoyer au contraire.

Oui, il y a une guerre à mener. Mais pas contre un organisme privé d’intention, que celui qu’on appelle le président et ses complices n’ont de cesse d’anthropomorphiser. Comme si le virus pouvait avoir une face humaine et un passeport. Car énoncer qu’il n’a pas de passeport c’est justement le considérer comme un être humain, en le présupposant par la négative qu’il pourrait en avoir un, et donc responsable de ce qu’il fait. Toutes ces manœuvres sont faites à dessein. Pour une raison simple et hideuse  : détourner l’attention. Alors comme ça l’idée m’est venue que le confinement sert également à détourner l’attention. Il sert à masquer qu’en vérité l’état ne fait rien. D’ailleurs, où sont les masques, les tests, les machine respiratoires, le personnel hospitalier en plus grand nombre  ? Pourquoi avait-il d’abord refusé que les cliniques privées viennent prêter main forte  ? Pourquoi refuser une molécule qui soigne bien  ? Parce que le médecin qui la préconise a les cheveux trop longs  ? Ne serait-ce pas plutôt parce qu’elle est peu coûteuse et qu’elle ne fait pas le jeu des laboratoires pharmaceutiques et de leurs complices  ?

Si un martien venait sur terre, il dirait  : tiens, ils ont trouvé un moyen radical pour se débarrasser des pauvres et des vieux. C’est un peu cruel, mais du moins c’est radical.

La personne meurt sans qu’un proche lui tienne la main. Elle est déjà rejetée du monde des humains. L’un des traits qui caractérise l’humain, c’est qu’il peut être justement inhumain, dans le sens perfide et cruel. Là, sont inhumains les états et tous leurs complices qui font que se produisent ces monstruosités. Et les médecins, les infirmiers, les infirmières, tout le personnel pleurent. Un jour viendra, et malheureusement il est très proche, où l’univers sera fait de non-humains. La cruauté et la perfidie seront intégrées par tout le monde. Les autres, les humains, seront tous morts.

7 avril 2020 – 22ème jour de «  confinement  » où s’abat la mort inédite

 

La nouvelle bourse

Chaque soir il égrène une longue série de nombres, debout, imperturbable, derrière un pupitre, endossant un costume qui semble un peu étroit aux entournures. Il énumère les nombres, accompagnés de lieux, d’une voix un peu neutre mais appuyée tout de même à certains moments pour que, sans que les consciences s’en rendent compte, quelque chose s’inscrive dans les esprits noir sur blanc. Que la mort rôde partout et qu’il suffit de se priver de liberté pour en être épargné. Sentence qui pourrait passer pour un vœu pieux s’il ne s’agissait d’une pure et simple flagornerie. Certains soirs, il profère aussi des promesses, des trains par exemple pour transporter des malades, des masques, des tests. Là, son ton devient emphatique, on croit même qu’il va s’envoler. Sous ses dehors de vautour, ou d’un quelconque oiseau rapace qui mange les morts, perce sa technicité toute professionnelle. Ne pourrait-il pas s’imaginer facilement, son crâne chauve recouvert de la coiffe pour cacher l’actant de l’acte odieux abhorré, donnant la mort en mettant en branle la guillotine  ? C’est évident qu’il fait plutôt penser à un bourreau.

Ces nombres qui s’égrènent, est-ce une nouvelle bourse  ? Car c’est bien le cours de la bourse qui aligne des nombres accompagnés de noms. Elle est en hausse, disait-on, elle est en baisse… Hier soir, il a même employé le verbe «  se solder  », pour déduire l’argent qui rentre de celui qui sort ou bien l’inverse  ? Non, ce n’était pas d’argent dont il s’agissait. Mais des personnes malades entrées à l’hôpital sur leurs deux jambes, ou à peu près, et des personnes qui en sont sorties à jamais allongées, direction la morgue. On fait l’opération mathématique et il en sort le verbe «  se solder  ». Là du moins, c’est clair.

Avant, les malfaisances se cachaient. Plus maintenant. Elles se produisent impunément. Elles sont même érigées en valeur. C’est pourquoi il est légitime de ne pas croire la porte-parole d’un gouvernement qui, lors de sa nomination, annonça qu’elle mentirait. Là, ce fut la dernière fois qu’elle disait la vérité. On peut étendre cette façon de faire à tous ses acolytes. Bientôt, on ne pourra plus s’en plaindre, c’est leur métier.

Des tests, des masques, des tests, des masques, c’est une véritable litanie… Où a-t-on vu un pays qui, par ailleurs donne des leçons de civilité à tout le monde, incapable de produire le nécessaire pour sa population  ? Où a-t-on vu une pharmacienne, transpirant tellement elle était gênée devant l’homme qui la suppliait de lui de commander des masques, sa femme étant malade et qui ne comprenait pas que cela était impossible, finir par lui dire qu’on avait envoyé les masques dont on disposait à la Chine  ? La France, pays du luxe. Certes, mais pas le luxe de faire mourir.

Hier soir, le bourreau-vautour a eu une pensée émue envers les confinés. Cela, dit-il, les empêche de voir leurs proches, cela bouscule leurs habitudes. Comme si cela n’était embarrassant que pour les habitus et le confort. On ne va tout de même pas se plaindre parce qu’on ne peut pas aller prendre le soleil, faire du sport, aller au cinéma ou au restaurant. En n’évoquant que cela, il nous traite d’enfants gâtés. Ce qu’il omet de mentionner, dans sa liste des inconvénients du confinement, ce sont les gens qui ne peuvent pas travailler, tous les commerces, restaurants, femmes de ménages, etc. Ils ne vivent pas de l’air du temps, l’aurait-il oublié  ? Et ce sont les plus vulnérables qui vont trinquer. Le confinement n’est pas embarrassant juste au niveau des habitudes. Mais cela, bien sûr, il se garde bien d’en parler. La catastrophe a pris toute son ampleur de catastrophe juste par laisser-aller, par la bêtise de la soumission à l’idéologie, la sacro-sainte valeur du libéralisme qui est le laisser-faire. Tout doit être ouvert, transparent et couler à flots. On ne doit pas se protéger, c’est mal. Pourquoi est-ce mal  ? Sinon pour garder toujours active la disponibilité à être soit marchandise soi-même soit consommateur  ? Il faut que ça circule continuellement et de toutes parts. Le résultat, c’est l’enfermement individuel. Piètre résultat en vérité. C’est d’une logique implacable. Chacun a commencé par se dénoncer soi-même, en se réduisant à sa sexualité, en devant proclamer «  je suis hétéro  », «  je suis homo  », je suis «  trans »… Et comme ça, tout le monde surveille tout le monde, on se fiche soi-même et pour le reste aussi. Maintenant, comme l’état a été incapable de protéger les populations, c’est chaque individu qui doit le faire pour lui-même. Les frontières, ce sont les murs des appartements…

Je ne sors plus, non pas parce que c’est interdit. Une heure par jour, d’ailleurs, j’ai le droit. Je ne sors plus parce que je ne supporte pas de me comporter à la fois comme une qui fuit les pestiférés et une qui peut être aussi considérée comme telle. Je ne sors plus parce que je ne supporte pas de devoir éviter les gens, de ne pas rêver, penser, observer la vie comme je le faisais toujours, et de devoir épier pour voir s’il n’y a pas des gens aux alentours. Il y en a aussi qui s’en fichent, et qui me foncent dessus. Ils sont tous des fusils potentiels. Alors je me mets à les haïr. Je ne veux pas haïr parce que je n’ai pas été mise au monde pour faire le jeu du pouvoir. Car par cette haine insidieuse, le pouvoir peut obtenir ce qu’il désire depuis toujours. L’individualisme effréné. Que les gens ne puissent plus s’unir pour s’en défendre. Ainsi, il pourra plus facilement encore les dominer. On ne ferme pas les frontières, elles sont individualisées. Or, Hannah Arendt l’a appris à ceux qui ont des yeux et des oreilles pour voir et entendre  : l’atomisation totale des individus et l’abolition des états-nations, c’est ce que veut le totalitarisme.

9 avril 2020 – 24ème jour de «  confinement  » quand les humains ne sont plus que de nombres.

 

En mai fais ce qu’il te plaît

Le 11 mai, je le sais, est une date arbitraire. Elle ne correspond à rien de concret. Pourquoi le 11 mai  cessera le fait d’être en résidence surveillée ? Parce que tout le monde pourra avoir des masques de protection  ? Parce que tout le monde pourra être testé  ? Parce qu’il y aura suffisamment de lits dans les hôpitaux, de machines respiratoires, de personnel soignant  ? Et que donc les personnes contaminées pourront être soignées correctement et mises en quarantaine  ? Et que donc la pandémie pourra commencer à être endiguée comme il se doit  ? Ceci se passerait dans un autre pays que la France, dans un autre temps, un autre monde… Car pour fabriquer les masques, les tests, les places dans les hôpitaux, il faudrait être en mesure de le faire. Or, la crise sanitaire actuelle révèle que le pays n’est pas en mesure de le faire. La France a été vendue en tranches. Et en plus, pour des sommes dérisoires.

Le 11 mai n’a été nullement choisi pour des raisons rationnelles, concrètes, viables. Car, je regrette, rien de tout ça à l’horizon. Mais rien ne se fait sans raison. Le 11 mai, cela doit bien correspondre à quelque chose. À quelque chose qui n’est pas valable évidemment sur le plan sanitaire et social. On ne peut pas interdire aux personnes de sortir indéfiniment. On ne peut pas faire perdurer indéfiniment la période dite de «  confinement  ». Ce mot ridicule comporte plusieurs connotations utiles au pouvoir  : 1° C’est mignon d’être confiné, cela évoque le douillet, la protection agréable  ; 2° Cela évoque en soubassement la restriction, la contrainte, pour ne pas dire la mesure répressive masquée sous le côté protecteur et mignon… 3° Empêcher de faire penser à ceux qui peuvent rester chez eux que justement ce n’est pas le cas de tout le monde, que la moitié de la population est obligée d’aller s’exposer pour gagner sa vie. Alors, pourquoi le 11 mai  ? Cette date est révélatrice et emblématique de la manière dont ici depuis quelque temps se passent les choses. D’abord, il fallait donner l’idée de confiner le confinement. Pour endormir les masses. Ainsi, celui qu’on appelle le président devait lâcher quelque chose d’un peu concret. Les gens commencent à en avoir marre, à se poser des questions, à s’angoisser. Alors, on cherche une date qui ne soit pas trop proche, parce qu’en fait, quand le confinement sera véritablement viable, ma foi, on n’en sait rien. Mais pas trop lointaine non plus. Parce que sinon la population pourrait se mettre à réfléchir, à s’énerver, à manifester aussi peut-être pourquoi  pas  ? Bref, à se réveiller enfin. Car le pays ne se gouverne plus. Il marche à la séduction et à l’endormissement. Alors d’abord on lâche une date appropriée quant au plan psychique, c’est très important le psychique dans une mission de séduction et de manipulation. Tout en confinant le dé-confinement, en disant oui mais, pas pour tout le monde. Sur ce, quelques jours plus tard, son valet en chef commence à dire que cela se fera très, très progressivement. On laisse passer encore quelques jours, parce qu’il faut que cela infuse. Et celle qui porte la parole fausse de son gouvernement, rajoute encore quelques couches en rappelant que cela va être un long travail, qu’il faut bien réfléchir, que cela ne se fera pas pour tout le monde en même temps. C’est très important, cette idée que cela ne se fera pas pour tout le monde en même temps. Parce que cela, de façon insidieuse et sûre, va continuer à fracturer, à diviser la population. Pourquoi lui, il peut être libre et pas moi  ?

Or, malgré ces entreprises d’endormissement et de séduction, la douleur et la colère montent. Je le vois à cette sorte d’acceptation de la mort. Oui, la mort est naturelle, inévitable et vouloir la neutraliser comme le voudraient le post-humanisme et la nouvelle techno-médecine qui a commencé à se propager chez les riches, c’est criminel. Je le sais bien, j’ai écrit un roman à ce sujet qui va paraître. Mais je ne veux pas mourir à cause d’un gouvernement et d’un pays indigents. Sur des tableaux, listons chez plusieurs pays, les nombres de cas déclarés touchés par le virus et le nombre de morts. Pour certains pays, pour des nombre de cas déclarés à peu près équivalents, les nombres se référant aux  morts sont très différents. Beaucoup dans un pays, beaucoup moins dans un autre. S’accusent ainsi des écarts considérables. Il faut croire qu’on n’est pas tous égaux devant la mort. Et ceci, non pas du fait de raisons intrinsèques mais du fait de l’environnement, de la qualité de la prise en charge, des soins. Chaque soir, le bourreau énonce des montagnes de chiffres. Et la pandémie commence à être comparée à des pandémies affreuses. Ce qui est faux bien sûr. On accentue à l’extrême la gravité de cette pandémie pour pallier l’incurie, la gestion basée sur la séduction pour cause d’incapacité à traiter vraiment le problème, pour signifier  : Voyez, si les gens meurent comme ça, ce n’est pas à cause de nous. C’est à cause du seul virus. Il est diabolisé car cela forme un alibi.

Le problème quand se produit une répression forte et qui, de surcroît, est impuissante à nous protéger, c’est que cela enclenche presque systématiquement la réaction inverse, légitimant le fait qu’il y ait des malades et des morts, en invoquant le fait naturel  : la mort. Si tant de gens sont malades et meurent actuellement, ce n’est pas tant à cause du virus, que de la manière dont cela a été traité et cela continue à être traité ici, c’est-à-dire fort mal. C’est pourquoi, mon cœur se refuse à mettre en perspective les morts par accidents de la route, cancers, infarctus ou autre motif avec les personnes qui, par ce coronavirus, sont déjà mortes, qui vont mourir aujourd’hui et qui mourront demain et encore demain… Une chose est d’accepter l’inéluctabilité de la mort, ce que nous devrons tous faire un jour ou l’autre, acceptation d’ailleurs gravée dans notre inconscient car lui ignore la mort. Une autre est d’avaler le fait que, pour un certain nombre de personnes, la mort n’aurait pas fauché. Cela, c’est plus dur en somme, beaucoup plus dur à accepter. Mon tempérament ne peut pas faire le jeu du pouvoir, en croyant que, dans ces cas, c’est la seule mort qui tue.

33ème jour de «  confinement  », quand l’incurie du pouvoir se fait passer pour la faucheuse.