L’Infante

Malgré son extrême jeunesse, Blandine Benjamin commence à trouver la vie un peu fade. Ce qui se donne comme simplement bon ne la satisfait pas. Le grand expert du corps, Auguste Naussans, l’amène à découvrir le Sel, ce qui anime la vie entière des gens…

Extrait de L’Infante, roman, Belfond, 1992 :

Je grignote des pétales de rose. J’entends le chuchotement de mes parents, Alice et Karol Benjamin, installés dans le salon attenant au jardin où je me tiens. Assis sur le canapé, ils me tournent le dos. J’attaque la quatrième rose de la journée quand le beau docteur Naussans apparaît devant moi. Il est arrivé en silence. Mes parents ne savent pas qu’il est ici. Il s’accroupit et me regarde sans parler. Il cueille une fleur, la porte à ses lèvres. J’ai dix ans.

“Pourquoi manges-tu cette rose ? dis-je.
— Parce que j’ai faim, répond-il.
— Moi aussi.
— Bien sûr, sinon pourquoi en mangerais-tu ?” dit-il.

Voyant que l’homme, contrairement à mes parents, n’est pas surpris par ma lubie, je crache les pétales que j’avais dans la bouche.
“Mais tu n’aimes pas manger cela, constate-t-il. Tu as certainement envie d’autre chose.”
Tout en me parlant, il m’inspecte discrètement. Je sais que je suis pâle. Mes paupières sont bistres. J’ai le souffle un peu court.
“J’ai perdu le goût, dis-je. J’aimerais bien le retrouver.”

L’homme sourit. Je regarde ses dents très blanches qui brillent, mises en valeur par sa peau tannée et par ses grands yeux bleus limpides. Je frissonne. Il s’approche tout près de moi, penche la tête, commence à me mordiller la nuque. Puis sa bouche descend le long de mon cou et prestement déchire ma robe. Je vois ensuite sa main saisir mon sein que nul n’avait touché.

“Je sens que ta chair se sent pas la mienne, dit-il.
— Suis-je morte ?
— Non, toi tu respires. Les morts ne respirent pas.
— Cela ne suffit pas comme preuve. Il m’en faut une autre.
— Les morts ne jouissent pas.
— C’est quoi jouir ?
— Je vais te montrer”, dit-il.