Apolline Francoeur
C’est sur l’énigmatique conseil d’un ami qu’Apolline Fraîcheur, souffrant d’un mal étrange, se rend dans la maison de soins de Maeva Delfé, doctoresse aux pratiques surprenantes. Une maison de soins aux allures de paradis si ne rôdait alentour un serial-sexuel-killer particulièrement pervers qui s’attaque aux proches de Maeva. Armée de la foi amoureuse qu’elle nourrit à l’égard de Maeva, Apolline part sur ses traces.
Extrait d’Apolline Francoeur, roman, La Musardine, 2000 :
Xan Fergus regarda avec tristesse le verre rempli d’un liquide rouge vif, posé devant lui. Hypnotisé, il se caressa machinalement le sommet du crâne complètement dégarni. Assise derrière son bureau, souple et attentive, le docteur Delfé ne le quittait pas des yeux; un suave sourire courait sur ses lèvres bien pleines, au dessin impeccable.
Laid et attirant, se dit-elle.
Elle, d’âge mûr, vêtait son long corps black de pagne tissé, raphia, batic, de bogolan malien ou de kita, la nimbant d’une seconde peau aux vertus magiques. En face d’elle, la silhouette anguleuse aux grands yeux mornes tendit brusquement la main, sans le toucher, vers le liquide carmin.
Xan Fergus, quelle allure originale! se dit-elle. Je me demande s’il plairait à mon mari. Elle interrogea le patient tout haut :
“Aimez-vous le goût du sang ?”
Il leva enfin le nez et toisa la doctoresse d’un air hébété.“Ne me dites pas que vous n’en avez jamais goûté! s’exclama-t-elle en riant. Je trouve que tout le monde devrait connaître sur le bout des doigts la saveur des foutres, aussi bien féminin que masculin… et du sang. Vous n’êtes pas de mon avis?”
Se sentant soudainement et d’une façon bien mystérieuse percé dans son secret ultime, Xan Fergus tressaillit.
Avec des gestes gracieux elle ouvrit les premiers boutons de son chemisier vert pomme. Fergus toussota. Puis, ses yeux se reportèrent sur la boisson s’offrant si dangereusement, sur le grand bureau en formica jaune de l’étrange doctoresse. Ses lèvres entrouvertes s’étirèrent vers l’avant et il se racla la gorge à plusieurs reprises. Peu bavard… mais expressif tout de même, nota Maeva Delfé; cas difficile, nous allons t’aborder lentement, t’apprivoiser par des préliminaires de formalités et de bon usage. Elle lui dit :
“Monsieur Fergus, vous avez trente-quatre ans, comme je le lis sur ma fiche. Mais vous n’avez pas signalé à mon assistante votre profession. Vous en avez une ?
— Architecte”, répondit-il d’une voix morne en détachant son regard de ce verre infernal.
Maeva Delfé se leva, s’assit sur le rebord du bureau, les jambes écartées. Il sentait que se dégageait d’elle une odeur puissante de roses poivrées, de violettes à la vanille, une odeur tout en contrastes, de profondeur mystique. Elle retira ses bottines rouges à bouts pointus et se mit à agiter dans tous les sens des pieds aux longs doigts aristocratiques. Xan Fergus aperçut ses plantes, si claires par rapport au reste de sa peau d’un noir velouté! Cette juxtaposition de couleurs allait le faire tomber en syncope, il en était sûr. Plus rien ne pourrait le retenir. Seul son instinct de survie à présent le guidait, écartant toute barrière. Sa main agrippa le verre de sang et la tête rejetée en arrière, d’un trait unique il but. Puis, Xan se leva d’un bond. La doctoresse détailla avec plaisir le costume seyant de son patient ―petit péché mignon chez elle― mais elle n’eut pas le temps de l’apprécier plus longuement. Car l’homme vint vers elle.
Il la gifla, les yeux tristes soudain traversés de haine.
“Pourquoi ?” cria-t-il.
«Pourquoi» était le genre de questions auxquelles ne pouvait jamais répondre Maeva Delfé, initiée aux agissements a-logiques naguère mis en place par le professeur Spack. Avant son premier rendez-vous avec Xan, elle n’avait fait qu’écouter le compte rendu sommaire fait par son assistante, Monica Goretti. Cette dernière, comme à l’accoutumée et suivant les ordres de sa patronne, lui avait simplement décrit l’aspect physique du nouveau patient. Et Maeva avait eu l’idée de l’accueillir avec ce verre.
“ Pourquoi ? cria-t-il de nouveau en fixant la joue que sa main, larges phalanges osseuses, venait de frapper.
— Pourquoi ? répéta en écho Maeva qui n’avait absolument pas bougé.
— Le verre! Rempli de grenadine ! Pourquoi! ” dit Fergus d’une voix courroucée.