Chronique de Dominique Iwan
Juillet 2022
Letizia Battaglia, une femme contre la mafia par Frederika Abbate
« Il n’était pas question de faire de belles photos ou de se sentir courageuse, mais simplement de résister, de se tenir face à eux pour dire non,” déclare Letizia Battaglia.
C’est un livre “sur une artiste au coeur pur, intraitable et généreux” m’écrit Frederika Abbate de façon si bienveillante, en dédicace de son ouvrage.
Biographie, analyse de la vie et de l’oeuvre d’une photojournaliste hors du commun “Letizia Battaglia, une femme contre la mafia” (aux éditions de La Reine Rouge) est à l’image de son auteur, une foisonnance d’idées, de culture, d’histoires, de personnages, d’époques … incroyable récit, fourmillant de pauvreté héroïque et de sang coagulé et en même temps cherchant l’absolu et la pureté, “des fous de la maison des fous de Palerme … aux enfants qui jouent dans la rue ou qui végètent dans un lit parce qu’ils sont trop pauvres … de la fillette aux dévots … de la femme qui pleure aux cadavres des mafieux … Battaglia est toujours dedans.”
Deux femmes, deux parcours, Frederika Abbate née à Tunis d’origine sicilienne et Letizia Battaglia née à Palerme en Sicile … La première écrivain, chroniqueuse, au talent luxuriant, du roman à l’essai, d’articles sur l’art aux émissions de radio, son oeuvre est dense et originale…
La seconde, qui entreprend dans les années 60, après une grave dépression un travail avec Francesco Correo grand psychanalyste freudien, car dit-elle “il ne suffit pas de naitre pour être au monde. Pour être au monde, il faut exister. Exister. Toute la question est là. (…) Elle parvient a remonter aux motifs de sa souffrance, survenus dans l’enfance.”
Elle prend alors son indépendance pour exister et devient journaliste à l’Ora quotidien de gauche où elle va écrire et surtout photographier avec son compagnon Franco Zecchin …
Pendant près de 20 ans elle va combattre le crime organisé, impliquée totalement dans sa lutte contre le mal, la photo lui permet de “tisser une culture de la paix” … Parallèlement Letizia Battaglia et Franco Zecchin vont donner des cours de théatre aux malades de l’hopital psychiatrique de Palerme. “Contre la tristesse qui est amoindrissement de l’être (Spinoza), ils opposèrent la joie, qui est accroissement et affirmation de l’être.”
“Elle réalise pendant près de deux décades sa magnifique et terrible chronique des années de guerre en Sicile” avec la peur en toile de fond, toujours présente mais qui ne l’empêche pas de capter le réel, d’aller au coeur saignant du réel. Le théatre nu de la cruauté … Les morts de laCosa Nostra …
Les assassinats en 1992 des juges Falcone et Borsellino, créateurs d’un pool anti mafia, vont accélérer son besoin de commencer une nouvelle histoire en laissant partir la précédente. Il s’agit des Ré-élaborations, ce projet pour lequel elle ajoute à certaines de ses archives des photos de corps féminins. Le but est de rappeler les événements traumatiques du passé en y incluant, selon Letizia Battaglia, une forme d’espoir, les femmes représentant « la possibilité de régénération et de transformation ».
Entre 2013 et 2014 elle crée les Invincibles, un hommage à celles et ceux qui l’ont inspirée et soutenue … en noir et blanc comme toujours : Joyce, Yourcenar, Freud, Rosa Parks, Che Guevara, Pasolini et bien sûr Borsellino et Falcone.
… Finalement, sa série des femmes nues photographiées au-delà de la séduction ou de la non séduction, par un regard qui laisse parler de la peau, la chair de femme, va marquer un tournant dans l’histoire artistique du nu féminin.
“Letizia Battaglia, une femme contre la mafia”, nous plonge de façon vertigineuse dans l‘Italie des années de plomb, dans la Sicile gangrénée par la mafia et surtout nous raconte le travail d’une femme exceptionnellement engagée à travers l’art vécu comme un affrontement contre le mal.