Août 2022
La romancière Frederika Abbate vient de consacrer un ouvrage à la photographe italienne de presse, Letizia Battaglia qui vient de nous
quitter (le 13 avril 2022) à l’âge de 87 ans. L’auteure Frederika Abbade, française née en Tunisie, mais d’origine sicilienne, s’est intéressée
au combat de Letizia Battaglia qui a montré à travers ses photos publiées dans le quotidien de Palerme L’Ora (de 1974 à 1992) la violence
de la mafia italienne pendant les années de Plomb en Italie. Frederika Abbate nous présente ici une femme forte et déterminée passionnée
par son travail, dans une époque où le photojournalisme était un métier d’homme. La femme, elle a sa place au foyer pour éventuellement
pleurer ses hommes (mari, fils, père, ami) morts sous les balles ou explosifs soit disant de terroristes, en fait déguisé par la mafia sicilienne, soit des crimes mafieux sans états d’âme. Le marché de la drogue ne se partage pas, tout le magot doit être dans la même poche, elle n’est jamais assez pleine. Pour continuer à la remplir, il ne faut pas hésiter à faire couler du sang, beaucoup de sang, souvent sous le regard affuté de … la photographe Letizia Battaglia, prête à témoigner par l’image, ce qui est en train de polluer sa ville chérie, Palerme !
Ici en France, la personnalité de Letizia Battaglia est peu ou pas connue. Ce livre de 184 pages va permettre de saisir le travail d’une
journaliste, aujourd’hui considérée comme artiste « en lutte contre le crime organisé (…), de son combat pour s’émanciper dans l’Italie des
années 50 et de sa véritable naissance par la photographie. » (Extrait du texte au dos de la couverture du livre). De par ses souvenirs
d’enfance, auprès de Francesca Zingale sa grand-mère maternelle, Frederika Abbate a gardé un lien profond avec la Sicile et ses histoires,
ses « on dit », liés à la mafia. A travers le parcours héroïque de Letizia Battaglia, l’auteure nous raconte la vie d’une femme, pour laquelle
on ne peut qu’avoir du respect pour le travail accompli, qu’importent les risques. Pour Letizia Battaglia, le mot guerre, se vit au quotidien,
chez elle à Palerme. Ville où elle sera également adjointe au maire Leoluca Orlando avec lequel elle lutera contre le crime et la corruption,
mais aussi élue au parlement régional de la Sicile.
“Pendant vingt ans, j’ai photographié le sang, la douleur, la mort, même des familles entières exterminées. En un seul jour, j’ai vu cinq morts assassinés, dans une occasion sept personnes avaient été tuées ensemble. Cinq, sept, j’ai perdu le compte. Comment on se sent quand on a vécu tout cela, après avoir capté toute la douleur de la ville possible ? On se sent dévasté. J’ai photographié en m’identifiant toujours dans ces histoires, sans aucun cynisme mais avec compassion humaine au point d’être obsédée par les photographies que j’ai faites et avoir même pensé, parfois, de vouloir m’en libérer, en brulant les négatifs. Des images qui m’empêchent de dormir.” (Pages 99-100)
Ce texte écrit par Letizia Battaglia est extrait de son livre Mi prendo il mondo ovunque sia, publié en 2020 chez l’éditeur italien Einaudi, et repris ici par Frederika Abbate, reflète, résume bien la forte personnalité de Letizia Battaglia, une femme contre la mafia, mais heureusement pas seule, souvent aidée par son ami photographe Franco Zecchin qui la soutient en l’accompagnant dans son combat.
Frederika Abbate n’a pas rencontré Letizia Battaglia. Elle a recueilli des infos, des propos dans les écrits de la photojournaliste, dans des articles papiers, télévisuels, sur internet. Mais surtout pour cet ouvrage, Frederika Abbate a transmis à travers son style littéraire, son admiration pour Letizia Battaglia, photographe, journaliste, artiste et surtout femme, femme italienne rattachée a sa ville, à ses habitants, rattachée à Palerme, à la Sicile. A noter que ce livre est le premier ouvrage en langue française consacré à la vie et à l’oeuvre de Letizia Battaglia.