COURBURE DU POLITIQUE
Nous sommes dans un monde régi par le modèle. Le modèle précède le réel. La virtualisation de toutes les sphères des activités humaines inocule un mode opératoire où c’est le modèle qui tient lieu de réel. C’est l’ère de la simulation qui assassine le réel. Le réel n’existe plus. Il n’est plus la référence, la valeur, le pivot du sens. La non-existence du réel s’abat également dans le champ politique. Baudrillard parle de sa « courbure ‘vicieuse’ », signant la réversibilité évidente de la droite et de la gauche.
Ceci peut expliquer les alliances étranges faites par les partis politiques en France lors de ces dernières semaines. La réversibilité absolue fait loi parce que nous sommes passés d’un système du sens et de sa représentation à un système de signe et de simulation. Tous ces partis in fine s’équivalent. Un parti n’entre pas dans la circularité de la simulation, en retrait des alliances improbables, exclu de la « courbure » du réel. Les partis pris dans cette courbure du réel, dans le jeu du miroir où se neutralisent les différences, le désignent comme l’ennemi à abattre, pour maintenir un semblant de polarité, d’écart. Dans la tentative éperdue de maintenir le semblant d’une opposition, d’une dualité. Pour ne pas avoir à subir la contagion suprême de la simulation qui abrase toute différence à son passage, où les signes s’échangent entre eux sans fin et sans référence à un réel.
Il faut ajouter à cela la liquidation de l’Histoire. Histoire liquidée, on n’a de cesse de la faire ressurgir dans des mythes. Mais comme il y a une confusion totale entre le réel et la fiction —puisque la simulation provoque la destruction de cette différence fondamentale—, les mythes historiques ne peuvent ressusciter au cinéma. On veut les voir surgir ici-même, dans ce qui nous tient lieu de réel. On s’invente par exemple une menace fasciste. Comme un besoin de rétro, juste par nostalgie du réel. Ces deux raisons conjuguées expliquent à elles seules la position d’exclusion d’un parti politique français. Nostalgie du réel. Peur de la contagion de la simulation. Ce parti lui-même ne parvient pas à affronter le mur du réel, il n’ose s’affirmer, il a un peu honte de vouloir juste une chose : la sauvegarde de l’identité, qui est le substrat même, d’ailleurs, du réel. Contaminé par la simulation, il se regarde dans le miroir tendu par la courbure de la réversibilité, il a le vertige. Va-t-il y tomber ?